Samedi 23 avril 2022, marque le 77ème anniversaire de la libération des camps de concentration et d’extermination. En ce jour de recueillement, nous avons rendu un hommage à toutes les victimes civiles de la barbarie nazie et un hommage plus particulier à Madame et Monsieur LEPRONT, en inaugurant une nouvelle plaque commémorative, qui rappelle leur déportation, une plaque implantée sur cette place qui a été baptisée de leur nom.
Nous avons eu le plaisir de compter parmi nous 4 des 7 enfants (Jean-Marie, Alain et Jeanine tous 3 décédés) de Mme et Mr LEPRONT : Jocelyne, Jacques, Yvette et Guy. Nous avons aussi une partie de leurs 15 petits enfants dont Didier, Lara et Adrien nous ont fait la lecture d’un texte à la mémoire de leurs grands-parents.
Madame Paulette Lepront-Néel a été internée du 05 avril 1943 au 02 février 1944 puis elle fut déportée durant 15 mois, (du 03 février 1944 au 26 avril 1945) au camp de Ravensbrück en Allemagne, plus grand camp du Reich spécialement réservé aux femmes et aux enfants. Ce camp était destiné en premier lieu aux détenues politiques, opposantes communistes ou résistantes, mais aussi aux détenues raciales Juives, Tziganes, Roms. Entre 1939 et 1945 plus de 130 000 femmes passèrent par ce camp et 70 000 à 90 000 y périrent de maladie, torturées, affamées, exécutées ou soumises aux délires des médecins SS lors d’expérimentations médicales contraires à toute morale et à toute éthique.
Monsieur Jean-Baptiste LEPRONT quant à lui a été interné du 23 août 1943 au 26janvier 1944 puis il fut lui aussi déporté durant 16 mois (du 27 janvier 1944 au 04 juin 1945) au camp de BUCHENVALD, plus grand camp de concentration du Reich allemand, situé en Allemagne. Ce camp, destiné initialement à enfermer des opposants du 3ème Reich (pour la plupart communistes ou sociaux-démocrates) recevra 10 000 juifs arrêtés lors de la nuit de Cristal en 1938 mais aussi des Tziganes et des homosexuels. Ce camp comptait plus de 250 000 détenus dont 56 000 périrent sous la torture, des expériences médicales ou d’épuisement.
Toutes les victimes de la déportation ne peuvent et ne doivent pas avoir subi ces atrocités pour rien, toutes forment le cortège glorieux qui balise notre travail de mémoire.
Le discours de M. le maire s’est terminé par une citation de Simone Veil :
“La bonne mesure est impossible à trouver ; soit on parle trop de sa déportation, soit on en parle trop peu. Nombreux sont ceux qui en ont été tellement meurtris qu’ils n’en parlent jamais.”
(Elle fut arrêtée par la Gestapo et déportée à l’âge de 16 ans au camp d’Auschwitz où elle perdit son frère, son père et sa mère.)
Avant la disparition des derniers survivants, il nous faut sauvegarder la mémoire des événements douloureux qu’ils ont vécus. Pour cela, il est important que les jeunes générations et celles à venir se souviennent pour que de telles atrocités ne se reproduisent pas car, comme l’a écrit Winston CHURCHIL :
« Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre ».
La cérémonie fut ponctuée par le récit émouvant du parcours de cette famille, par les enfants et petits-enfants eux-mêmes :
Jacques
La mémoire est une chose fragile, elle doit être écrite pour bien clarifier les faits, mais elle doit surtout être présente dans les esprits comme un lien indestructible de nos histoires.
On dit que : « tant que l’on parle des gens, que l’on prononce leur nom, ils sont toujours vivants». Néel-Lepront, les noms donnés à cette place sont un fort lien de la mémoire.
Didier
Un extrait d’un courrier de mon Grand-Père à un camarade déporté avec lui (ses mots et ses phrases) :
« Je vous remercie beaucoup de votre réponse qui m’a fait plaisir de voir que tous les camarades n’ont pas oublié – vous allez pensez que je suis bavard, non pas tellement, mais cela me soulage – donc en bref, parti comme STO dont je me suis évadé avec des péripéties inoubliables, puis maquis et arrestation – prison de la Gestapo de Rouen – le donjon (la prison de Jeanne d’arc) puis Compiègne aux mêmes dates que vous. Si vous vous rappelez que les femmes étaient derrière nous à Compiègne, elles ont chanté comme nous la marseillaise et elles les femmes sont parties quelques temps après nous – la traversée de Compiègne puis les wagons et en route tentative d’évasion avant d’arriver à Trêve nous avons eu 5 morts en cours de route – la soupe bouillante à Trêve où nous étions 120 hommes nus par wagons etc…, l’arrivée à Buchenwald avec la neige et les chiens et notre calvaire, bon Buchenwald, Dora et Elrich et pour finir comme tous les camarades cette fameuse évacuation qui nous a duré 11 jours dans le même wagon où nous en sommes sortis à 30 ou 40 par wagon de vivants et là dans les bras des Russes –
j’en suis ressorti à 39 kg à 27 ans – libéré par les soviétiques, de qui je ne me plains pas – rentré en France, j’étais plus que fragile – il y aurait encore bien des mots à écrire mais il faut que cela vienne à la tête et bien des fois c’est la nuit quand je ne dors pas je pense et puis me voilà reparti 20 ans en arrière alors je me lève et j’écris ce qu’il me vient à la tête et après je brûle le tout »
Lara
Il s’agit d’un mot écrit par ma Grand-Mère, au dos d’un calendrier illustré d’une photo des déportées agenouillées les bras en l’air sur la place d’appel du camp de Ravensbrück.
« Maman, ne le déchire pas – Je le garde comme un souvenir des boches et c’est peut être moi qui suis comme ces pauvres femmes …… Merci maman, rendez-vous compte quand l’on était une nuit les bras en l’air comme cela. »
Quand elle écrit cela, elle vient de rentrer de Suède où elle a passé plusieurs semaines en sanatorium et en maison de réadaptation à la vie « normale », après avoir été libérée par la croix rouge suédoise.
Elle disait ne plus savoir utiliser une fourchette ou un couteau pour manger par exemple.
Elle a écrit à sa mère avec tendresse, et tente d’expliquer en l’illustrant par cette page de calendrier un peu de ce qu’elle a vécu sans avoir réussi à le dire ou aussi par ce qu’ils ne voulaient pas entendre.
L’extrait du livre « les Françaises à Ravensbrück » :
Denise Gastinel explique dans ce livre le désir de témoigner, désir de rescapés né du fait d’avoir pu revenir de l’autre monde, ce qui allait à l’encontre de la nature et de la fonction des camps du système concentrationnaire hitlérien.
« Nous sommes vivantes : tant pis pour nous » écrit une déportée ; une autre se pose la question : officiellement je suis revenue, mais en réalité qu’est ce qui est revenu ?
Si en déportation la tendresse pour les vivants faisait le contrepoids des mortes, dans le monde retrouvé des vivants, chaque déportée porte le poids des mortes.
Le monde des camps ne s’arrête pas au moment où les portes de Ravensbrück se sont ouvertes.
Les survivantes l’ont emporté longtemps avec elles. Elles l’ont parfois retrouvé dans la vie normale… »
Adrien
Les ressentis des enfants :
En tant qu’enfants de résistant et déporté, il est parfois déroutant de faire la part des choses. Ils sont avant tout nos parents, et bien qu’aux yeux de certains il y a quelques chose de méritant d’être (à un moment de sa vie) un « héros » ou même un « survivant », nous on les côtoyait dans un quotidien pas toujours merveilleux ou héroïque.
Mais, comment sortir indemne de la déportation.
Aujourd’hui un accompagnement des suites post-traumatiques serait mis en place.
Leurs vies pendant la guerre ont été jalonnées de ténacité, de révolte et de survie mais aussi de hasard, de chance et de bons samaritains, parfois de l’autre côté.
Après la guerre, ils se sont encore battus pour nous élever dans le droit chemin, comme ils nous le disaient tout le temps.
Une chose est certaine, l’esprit de résistance ainsi que la capacité de dire « non » nous habitent au plus profond de nos âmes.
Guy
« Tout d’abord, Mr Le Maire et les membres du Conseil Municipal, nous vous remercions pour l’organisation de cet évènement. Nous remercions également pour leur présence les habitants de la commune avec un clin d’œil plus particulier aux anciens voisins de la cité Bellevue. L’expérience, le vécu sont un patrimoine secret, très difficilement communicable.
Si notre père, éternel rebelle l’évoquait plus librement, notre mère était beaucoup plus discrète. Elle m’a dit une fois que c’était son destin. Elle évoquait même un certain sentiment de culpabilité :
D’une part, vis-à-vis d’autres déportés, les « Polonaises » notamment qui ont souffert selon elle plus qu’elle.
D’autre part d’avoir pu « déranger » à son retour des camps.
Ils se sont reconstruis comme ils ont pu, et nous les enfants : Nous avons construit nos propres vies avec ce passé mais aussi et surtout tournés vers l’avenir empreints des valeurs transmises par nos parents. Chacun réagit selon ses sentiments ou son émotion. La mémoire est là, elle s’impose d’elle-même. Nul besoin de parler de devoir de mémoire. En revanche, transmettre est un devoir de mémoire, pour ne pas oublier et retenir les leçons du passé.